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9 juillet 2013

La vie en Transsibérien

Voyage hors du temps et de l'espace, de Vladivostok à Moscou, le Transsiberien traverse, en 200 heures, 7 fuseaux horaires et 9289km mais nous restons sans bouger. Confinés soit dans des compartiments "kupé" soit en dortoir "plazkartz", les odeurs de vie prennent tout notre espace. Coupé du temps, plus aucune horloge ne correspond au présent.
Pour rendre les choses plus "simples", tous les trains, les affichages, départ/arrivée sont à l'heure de Moscou. Pour rendre les choses plus simples encore, ton Ipone est pris d'initiatives intelligentes et s'adapte lui-même au fuseau horaire.
Rien de plus compliqué. Alors on ne regarde plus l'heure, on ne sait plus que se repérer par le soleil qui monte et descend, en notant bien de quel côté histoire de savoir dans quel sens on va, et par son estomac, jamais trompé par ce jeu d'horloges.

Alors même si on traverse plus de la moitié du globe, même si lorsqu'on part de Moscou à la tombée de la nuit on sait que le jour vient de se lever à l'autre bout de la ligne de chemin de fer, même si on remonte le temps en voyageant de l'Est à l'Ouest et on l'accélère en voyageant de l'Ouest à l'Est, même si ce voyage est un voyage dans le temps et dans l'espace, on est assis, là, dans l'immobilité la plus totale avec le présent et l'ennui comme lent sablier.

Après avoir goûté aux couleurs d'Asie, aux odeurs de marchés, aux villes éveillant mille sensations, qui aurait cru qu'un train pourrait exacerber là aussi tous mes sens ? De l'odeur de poisson frai, que la vieille du lit d'en bas vient de déballer sur un papier journal, à celles des fruits, fromage et saucisson, mélangées à celles des pieds, de la sueur, des parfums et déodorants, vient s'ajouter un concert de bruits familiers, de discussion, de musique, de ronflements, de pleurs ou de rires. Et cette orchestration entre odeurs et sons, rythmée par le balancement régulier du train qui berce ou énerve, endort ou empêche de dormir. Le train, seul chef d'orchestre.

Dans cette symphonie des sens, c'est aussi un voyage introspectif qui s'opère, dans les souvenirs, permis par le temps qui s'allonge au fur et à mesure qu'il se rétrécit sous le passage du train sur les rails: l'ennui laisse place aux souvenirs qui galopent au rythme des sensations. Un parfum, une odeur et c'est tout un monde qui s'éveille. Chaque personne n'étant pas absorbée par sa nourriture ou ses mots-croisés, replonge dans ses souvenirs, renoue avec l'univers de ses réflexions, juste là, par la fenêtre, le regard dans le vide, quand les paysages défilent et s'en mêlent.

Un flot de substrat de vie dans chaque mètre carré. Une expérience de chaque instant. On me l'a dit, le "plazkart" on l'adore ou on le déteste. Alors j'ai sauté.

De manière plus concrète, en quelques règles, je vous présente le Transsibérien:

C'est un train. C'est à dire par définition qu'il est composé d'une locomotive, de wagons (dont un wagon restaurant) et de rails: jusque là je pense que tout le monde suit. Trois classes différentes viendront timbrer votre ticket d'un prix plus ou moins exponentiel:

- 1ère classe ou "deluxe": un compartiment de deux couchettes

- 2nde classe ou "Kupé": un compartiment de 4 couchettes

- 3ème classe ou "Plazkart": dortoir composé de trois fois deux lits superposés (un dans la longueur, deux dans la largeur) sur une surface de 7 mètres carrés environ, avec une table au milieu, fois 8, c'est à dire 48 lits au total pour un wagon.

L'intérieur du train:

A chaque extrémité du wagon, grâce au ciel, nous avons des toilettes : Wc, miroir et lavabo, souvent même du PQ. On y fait des rencontres express dans la file d'attente, on peste contre le fait qu'elles tombent souvent en panne, on attend de longues minutes lorsque quelqu'un prend sa toilette du matin, bref, les WC occupent 1/10 de votre temps et de vos occupations par jour.
Aux mêmes extrémités se trouve une prise électrique, bizarrement rarement libre, et approximativement fonctionnelle.

A l'entrée de chaque wagon se trouve ce que l'on appelle un "samovar": un espèce de gros réservoir, en fait une bouilloire à eau, toujours fonctionnelle et à volonté : pâtes instantanées, café ou thé, etc.. La base de la nourriture dans le Transsibérien quoi! C'est à dire 3/10 de votre temps.
Concernant la nourriture, on trouve sur les tables généralement la même chose à chaque fois: pâtes instantanées, purée instantanée, café "3 en 1", thé, poisson, saucisson, pain, mini-concombre ressemblant à des cornichons, des bonbons, gâteaux à thé et trucs frits.

Deux personnes appelées "provodnista"/"provodnik" sont attribuées à chaque wagon et se relaient entre le jour et la nuit. Leur mission: prendre soin du wagon et tout ce qui y est directement ou indirectement lié, nous compris. La plupart du temps elles ont perdu le sourire quelque part, on ne sait trop où, mais un événement étrange, inattendu, peut parfois le ramener. Leur rôle par exemple est de distribuer les draps aux nouveaux arrivants, ou récupérer ceux des voyageurs qui vont arriver à destination, laver le sol et vider la poubelle, vendre des trucs, ouvrir et fermer la porte qui donne sur le quai lorsqu'on est en gare, bref un peu tout quoi. Ils ont un compartiment en face du samovar.
Une blague Russe dit que lorsqu'ils redescendent à terre ils ont une démarche de bourré.

La lumière s'éteint et s'allume de manière terriblement aléatoire mais généralement, c'est le noir complet aux alentours de minuit heure locale cette fois-ci (faut pas déconner). Parfois, soudainement, au gré de la bonne volonté des énergies environnantes, de la musique sort des hauts-parleurs, bref c'est un peu la pochette surprise.

Rarement mais quelque fois, des femmes passent dans les couloirs et vendent chips, bières ou eau. Mais soyons honnêtes, le couloir est surtout colonisé par des enfants qui jouent avec le peu de terrain qu'ils ont et par les allers/venus de ceux qui vont remplir leur tasse ou leur pâtes.

Les variables aléatoires :

Parfois il y a de la clim, parfois non. Parfois on peut entrouvrir le haut d'une fenêtre, parfois non.
Parfois il y a un espace fumeur entre deux wagons, parfois non.
Parfois le train s'arrête et on a le temps de courir acheter un truc à la supérette, parfois non.
Par contre, le train ne vous attendra jamais.

L'extérieur du train:

A l'extérieur du train un kilométrage s'affiche: les centaines de mètres sont marquées au moyen de poteaux de 1 à 10, et à la fin de la dizaine, s'affiche le nombre total de kilomètres (avec Moscou comme zéro). Ce qui est plutôt pratique, car à l'entrée de chaque wagon on trouve une affiche (pour une fois traduite en anglais), avec les villes dans lesquelles le train s'arrête, le kilométrage, l'heure (toujours celle de Moscou), et la durée de l'arrêt. Quelques calculs de tête et hop on peut se repérer à peu près sur la "Map Monde".

Les paysages qui défilent sont plus ou moins similaires. Si je devais les décrire en un mot: Taiga. De la foret quoi, dont beaucoup de boulots. Plus ou moins vallonnés, plus ou moins l'apparence de steppes, parfois des rivières, notamment du côté Far East avec l'Amour (une rivière couleur noire) les paysages ont quelque chose d'intouchable. Peut être parce que sur 9290km ces vastes étendues qui s'offrent à nous n'appartiennent à personne sauf à Dame Nature... La plus belle partie du Transsibérien, selon beaucoup de bouquins, est celle qui relit Irkutsk à Oulan-Oude (10h environ), et qui longe le lac Baikal. Le côté Far East est plus vallonné et a plus l'apparence de steppes bordées de rivières, tandis que le côté Ouest est plus ou moins plat et couvert d'un manteau de d'arbres, de fleurs, de bosquets.

Petite anecdote que j'ai lu dans le journal (application que j'ai téléchargée aha) lorsque j'étais encore en Asie du Sud-Est: un français a été retrouvé à poil, dans la neige, le long du Transsibérien. Il aurait bu de la vodka avec des Russes dans le train, et aurait commencé, bourré, à dire n'importe quoi, parler à tort et à travers, à critiquer le pays et sa politique. Ils n'y sont pas allés pas 4 chemins, ils l'ont foutus dehors à poil, ahaha!

L'équipement habituel du voyageur en Transsibérien :
- Lingettes, mon meilleur ami
- Pâtes instantanées, par millier
- Mots-croisés ou un bon bouquin (voire 3 dans l'idéal)
- Bon bagage en matière d'escalade
- Qualités en matière de patience
- Sérieux background de générosité
- Expérience en sociabilité
- Du thé

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  • " Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait. " N. Bouvier
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