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25 juillet 2013

Le retour

26/06/2013: Les trois dernières semaines m'ont projetée dans un autre monde: l'Europe. La maison. Le Retour. Avec un grand R. Aujourd'hui je suis en Estonie et m'apprête à en sortir déjà, sous peu. Je n'arrive pas vraiment à y croire, ma tête étant restée quelque part en Asie. Durant cette année de voyage, le "Retour" m'a toujours paru un peu irréel, m'apparaissant parfois sous les traits d'un rêve, parfois d'un cauchemar, un songe qui a souvent habité mes nuits et agité mes réveils d'émotions contradictoires. Et il est là, devant moi, il me tend les bras ce Retour. Et je ne sais pas trop quoi faire de ces embrassades éphémères, et qui me paraissent anticipées, je n'arrive pas vraiment à imaginer ce qui se cache derrière ce gros bonhomme qu'est le Retour. Traquenard? Piège à rat? Est ce que la réalité va me gifler en retour, est ce qu'une cage arrivée de nulle part va se refermer sur moi, est ce que le revers de je ne sais quelle médaille va me faire payer mon enthousiasme ? Beaucoup d'appréhension, un nouvel "Inconnu", pourtant le plus familier d'entre eux, se dresse de nouveau sur mon chemin. Même si de nombreux inconnus ont déjà croisé ma route, celui là a ça d'impressionnant que je suis censée le connaître par cœur et plus que tout. C'est mon chez moi. Et c'est peut être ça qui est terrifiant: et si tout avait changé? On dit qu'un retour se prépare autant, voire plus, qu'un départ. On dit qu'un voyageur ne rentre pas chez lui, c'est une autre personne qui rentre à la maison. Mais c'est qui cette autre personne? Est ce qu'on va l'accepter à ma place? On dit beaucoup de choses, on en entend d'autres. Des questions j'en ai plein mon cartable et bizarrement, je les aime. Car cette peur de l'inconnu, qui a voyagé avec moi si longtemps et qui m'est aujourd'hui familière, comme la plus fidèle amie, cette angoisse que j'ai appris à apprivoiser avec le temps, c'est elle qui me fait me sentir vivante.

Durant c'est trois dernières semaines j'ai pris mes deux derniers trains, ai rejoint Moscou, Saint Petersburg avant de commencer le stop pour l'Estonie. Dans ce long, très long, dernier article: Allez hop, en voiture !

Semaine 45, 46 et 47 De la Russie à l'Estonie

La dernière semaine en Russie

De justesse j'ai pu changer mes billets de train: je passerai une seule journée à Moscou et trois jours à St Petersburg. De justesse car mon train allait partir, heureusement un contrôleur russe m'avait pris sous son aile, négocié avec les caissières pour échanger mon billet, tout ça avec des gestes vu qu'il ne parlait pas anglais, puis courir sur le quai attraper mon train, même avec sa jambe gauche qui boîte. Je le remercie, et, en sueur, je monte dans mon troisième plazkartz de Transsibérien. Je suis lucide, j'ai ma nourriture, et en 4 exemplaires cette fois-ci: on s'améliore! Déjà un Russe m'accoste, m'assomme de questions sans me laisser respirer alors que je n'ai déjà pas assez d'espace pour me défaire de mon sac. Ce spécimen, c'est Ranis: 20 ans, anglais suffisant pour avoir une conversation, il sort à peine de son service militaire obligatoire d'un an , il rentre chez lui. Spécimen car il arrivera à me faire me retrancher sur ma couchette pendant plus d'une journée, prétextant des nouilles instantanées périmées, tellement il était insupportable. Alors certes, très gentil. Certes, il m'a parlé de son pays, m'a appris beaucoup de choses, m'a aidée et a été aux petits soins. En fait au début, il me paraissait même sympathique. Mais il a commencé à trop ouvrir la bouche : "Tu savais que ces salauds d'Américains pensent que c'est grâce à eux qu'on a remporté la 2nde guerre mondiale?", "J'aime pas les Américains", "J'aime pas les homosexuels" "J'aime Sarkozy car il vire les arabes", et cerise sur le gâteau : "Poutine? Euh.. Je sais pas".

Y des cons partout.

Non parce que je ne vous ai pas dis mais j'ai fait des sortes de sondages, essayer d'éluder la question Poutine auprès des locaux. Vladivostok, Irkutsk, le train et dans toutes les villes, j'ai demandé non pas ce qu'ils pensaient de Poutine, un peu trop direct, mais qu'ils parlent de l'opinion public en Russie de ce "Président de carton". Aucun n'a eu de réponse directe et évidente : "c'est mitigé, les plus informés et intelligents ne l'aiment pas, les autres gobent ce qu'on leur dit", ou bien "tout le monde te dira que personne ne l'aime, mais au fond il est charismatique alors on lui crache pas trop dessus, personne ne fait rien". Tout le monde sait que les élections sont truquées, c'est évident, digéré et accepté. C'est comme ça. J'ai aussi fait un sondage sur l'opinion public au sujet de l'homosexualité, là c'était plutôt unanime, on les accepte à peu près mais on est pas trop pour. De toute manière Poutine a récemment fait passer une loie interdisant les manifestations homosexuelles en public.

Revenons à Ranis, je l'aimais bien au début. Mais à trop sortir de conneries et à tirer sur la corde tout le temps, j'avais épuisé mon stock d'énergie compatissante. Le problème étant que même absent et disparu de mon wagon, il a continué envahir mon espace en m'appelant sur mon portable. Ranis était sympa, juste lourd. Je n'ai du coup pas trop eu l'occasion de faire la connaissance des autres voyageurs, mais j'ai rencontré Ranis. J'ai également pu lire mes deux livres de Marc Lévy, en me demandant s'il était possible que ce mec soit vraiment l'auteur français le plus lu au monde depuis 10 ans.

Juste avant d'arriver à Moscou, l'ennui s'était emparé de moi, le temps givré avait de plus en plus de mal à glisser. Je regardais l'heure toute les dix minutes, et pouf, on remontait encore le temps pour la 9ème fois. Une heure de plus à attendre, foutu décalage horaire. Je me tournais et me retournais sur ma couchette, espérant trouver le sommeil, pour faire passer le temps, quand tout à coup, un geste d'un culot surprenant me secoua. Je lève la tête, cheveux ébouriffé et regard vif, cherchant l'auteur de ce scandale, lorsque mes yeux se posèrent sur ce nain de jardin haut de 12 ans, présent dans le wagon depuis trois jours mais occulté par l'ombre du grand Ranis. Et c'est ce gnome qui a eu le parfait culot, précisément dosé, de me "réveiller" en agitant un jeu de cartes sous mon nez, me montrant du doigt deux belles russes plus bas, et me demandant de me joindre à eux pour jouer. Mon regard accusateur s'est immédiatement évaporé, mes cheveux se sont presque debourriffés, touchée par leur proposition, j'ai sauté à terre pour les rejoindre. Je me suis présentée avec mon Russe approximatif, constitué d'un vocabulaire à 4 mots. J'étais devant Sacha, le secoueur, Nastya (18ans) et sa petite sœur de 13 ans. Aucun ne parlant anglais. Ce qui m'a extrêmement plu, c'est que ces trois jeunes russes ont pris le risque de mettre en colère une étrangère qui dormait, pour l'inviter à jouer aux cartes, et sachant pertinemment qu'elle sera un boulet dans le jeu car ils ne pourront pas lui expliquer les règles. Ils m'avaient sauvée de mon ennui abyssal, et, sans un mot anglais, nous avons joué, rit, et j'ai été le boulet de la partie. Avec un grand sourire.
Nastya a tenu à me poser une question, encore fallait-il que je la comprenne. Durant 25 longues minutes, de réflexion, de consultation de son portable, de gestuelle et de rires gênés, elle a finalement réussi à trouver les mots et à m'écrire: "why one". C'est clair, net et précis. On me pose très souvent la question d'ailleurs: pourquoi je voyage seule? Certains se demandent si je suis sans ami, antipathique ou simplement bizarre. Et j'aime y répondre, expliquer mon histoire, mon vécu, mes idées. Mais cette fois-ci, avec mes 4 mots de vocabulaire? J'en ai voulu à Nastya de me poser une telle colle, je sais mimer, mais là c'est trop me demander. Et même expliquer que je ne peux pas expliquer car les gestes sont insuffisants, même ça, c'était impossible. Bref devant cette impasse comique, je n'ai pas pu m'en empêcher, ma réponse a été d'éclater de rire. Sûrement en a-t-elle conclut que je suis bizarre.

Nous arrivons à Moscou vers 4 heures du matin heure locale. Nastya, à ma grande surprise m'avait préparé un mot en anglais (composé de trois phrases) avec son adresse mail, des remerciements, des belles choses. Elle m'offre son bracelet qu'elle m'accroche déjà au poignet et moi, toujours abasourdie et à peine réveillée, je la regardais faire, incrédule, ne comprenant pas d'où venait une telle gentillesse. Combien de temps il lui a fallu pour écrire ces trois phrases, lorsque la veille elle a pris 25 minutes pour 2 mots? Touchée, je prends mon sac, les serre dans mes bras, un par un, et me dirige sur le quai. Un panneau métallique annonce "9298", rien besoin d'ajouter, tous ceux qui foulent ce quai savent.

Ma journée à Moscou, si je devais la chanter, elle serait ce long silence ennuyant entre deux partitions. En quelques mots: hôpital pour mon eczéma infecté récidiviste (170€ pour une crème inutile: Échec), manger (trop), penser (trop), gratter (mon eczéma), en short sous la pluie (je suis trempée), car mon sac est "dépôt bagages" de la gare (car je reprends le train le soir). Bref, de 4 heures du matin à 14h je ne fais pas grand chose de constructif, j'ai disons fait l'autruche dans une cantine italienne, jusqu'à ce que la culpabilité ait dépassé le cafard. Puis, j'ai remis mon corps sur mes jambes, ai testé les flexions de genoux, deux petits sauts, les écouteurs dans les oreilles et hop on est parti. J'ai marché une bonne dizaine de kilomètres, le soleil éclairant enfin les rues, baignant mon humeur dans un cocon un peu plus joyeux. Le centre ville est splendide, le Kremlin impressionnant (de l'extérieur), la grande église superbe.

Le soir, à minuit, je reprends le train, et pour la dernière fois: direction Saint Petersburg. Je me sentais déjà mieux, mes "racines mouvantes". J'arrive dans la ville qu'on surnomme la "Venise du Nord", ou Paris du Nord, je ne sais plus, je dépose ma maison au "dépôt bagage" pour aller profiter de ma journée, ensoleillée, dans cette belle ville, et attendre que mon Couchsurfeur se libère du travail.
Saint Petersburg est absolument splendide. Pour moi, elle a été un mélange de Vienne, avec son style vitrine ou musée vivant, et ses nombreux cafés, d'Amsterdam avec ses nombreux canaux, et sa touche unique avec ses églises extraordinaires coiffées de pommes de terres colorées. Un régal, c'était beau, subtil, agréable, propre, grand. Mais ce que j'ai préféré a été mon excursion à Peterhoff, le "Versailles russe", à 20 km de Saint Petersburg. Construit en 1715 comme "maison de vacance" par un certain "Le Blond" (architecte français) sous les ordres de Pierre le Grand qui revenait tout juste du château de Versailles qu'il avait apparemment envie de ramener chez lui. C'était la parenthèse historique. Un parc splendide, dans une forêt plutôt dense, décoré de lacs, de fontaines, de statues, et puis la ler bien sûr. Vraiment très beau.
J'ai adoré cette journée, d'autant plus qu'elle a été ma dernière avant le "début de la fin", ou le moment où je commencerai à tendre le pouce vers l'Union Européenne !
Je me suis alors assise sur un banc, admirant le lac, les groupes touristiques, les arbres. Lorsque je rencontrai Stefano. Attention pas une rencontre anodine. Non, Stefano est italien, notre rencontre se devait d'être théâtrale. Absorbée dans mes pensées, j'essayais depuis mon banc d'identifier un objet volant très curieux qui planait au dessus du lac, dans un bruit de tondeuse électrique. Assise là, regard vers le ciel, bouche semi-ouverte, sourcils haussés, nez retroussé, et oreilles interrogatives, j'entendis soudain ce bonhomme à ma gauche, qui était planté là le nez au le ciel lui aussi depuis quelques temps, s'étonner: "What's that?". A peine plus intriguée par sa présence que par mon OVNI, je vérifie qu'il ne s'adressait pas à un autre italien caché derrière un buisson, avant de lui répondre que les Aliens ont décidé de nous attaquer aujourd'hui, le 13 Juillet 2013, par qu'ils sont finalement plus "13" que "12". Je lui ai pas vraiment dis ça, mais peu importe. On passera la soirée à se balader dans les parcs de St Petersburg, parler de nos pays, nos voyages, la Russie, puis je repartirai de mon côté, établissant un plan de combat dans ma tête pour le stop demain. Alors ça y est? Je rentre.

En route vers l'Estonie

Pour commencer mon aventure en stop, il a fallu que je trouve d'abord du carton. J'avais réussi à aller gracieusement en piquer dans la poubelle derrière le restaurant de luxe dans le jardin de Peterhoff. Je m'efforçais de croire que si je me répétais: "c'est tout à fait normal de se balader avec une grosse boite en carton dans les bras en plein milieu des jardins de Versailles" je finirais par dégager de l'assurance, mais rien à faire on me regardait toujours comme une allumée. Bref, en ce samedi 13 Juillet je me suis donc réveillée tôt, ai pris un bus pour me permettre de sortir de St Petersburg au maximum. Assise sur mon siège, carton en main, plan dans l'autre, chaque arrêt aurait pu être parfait, mais le courage me manquait pour sauter sur le bord de route et tendre le pouce. Au bout d'un moment, s'en était trop, voilà 1h30 que j'étais sur ce siège, je me suis jetée à l'eau, suis sortie du bus et ai déplié mon carton. Un Estonien à l'anglais parfait s'arrête, et m'emmène à la ville-frontière: Narva. Dès la frontière passée, l'anglais est parlé couramment, on paye en euros et plus qu'une heure de décalage me sépare de la France. Il a fallu la mériter cette Estonie : 3 heures d'attente au poste frontière. Après quoi, mon conducteur s'en va de son côté, moi du mien, retendre le pouce direction Tallinn, où les deux estoniennes m'attendent. On me reprendra en stop assez facilement, après avoir essuyé de nombreuses fusillades de regards méprisants ou accusateurs, moqueurs ou amusés.

Je mets pieds à terre dans la rue Viru Street de la magnifique ville de Tallinn, un air d'été, de vacances se dégage de la rue piétonne, l'anglais résonne de tous les côtés. J'aperçois déjà la boutique dans laquelle Kadri travaille, notre point de rendez-vous. Mon cœur s'emballe, je n'arrive pas à croire que je vais l'apercevoir là dans ce magasin. Je décide d'attendre qu'elle finisse en m'asseyant dehors au café d'en face, je prends une photo de la devanture et lui envoie en email. Je n'aurai pas le temps de finir mon café que déjà un cri strident vient heurter mes tympans. En levant la tête j'aperçois se diriger vers moi une femme-pieuvre, ou Kadri qui agite ses bras dans tous les sens pour me sauter dessus. S'en est suivie une conversation stérile composée de cris, de rires et d'onomatopées. Nous partirons ensuite vers son appartement et Annika nous rejoindra.

A partir de là, j'ai eu l'impression de ne jamais les avoir quittées.
Durant les jours qui ont suivi, elles m'ont montré la ville, les lacs, leur famille. Nous sommes parties à Tartu en stop, et sommes allées dans cette grande maison de colocation composée de 4 appartements : une grande famille d'amis, d'amis d'amis. Un endroit superbe que cette grande maison en bois, rue Tolstoi, sauna dans le jardin et squatt sur le toit: elles ont toutes deux habité ici. Elles m'ont également emmenée dans beaucoup de ces endroits que j'affectionne tant: des sortes de cafés culturels, bars canapés, squatt littéraires,.. Ces espèces de MJC, ces coins dans lesquels on se sent si bien, où l'art et la culture ont pris possession des murs, les livres des étagères, les artistes de la décoration. Des jeux, graffitis et compagnie, des tables de pingpong ou balançoires, des gens toujours adorables, qu'on connaît depuis la nuit des temps, ou que l'on voudrait connaître, de ces endroits qui réunissent des âmes différentes, et de tout âge, mais qui se réunissent dans l'amour de la culture, de l'art ou juste de la bière.
Ces bars/cafés culturels organisent très souvent lectures de poèmes, films, concerts, desserts, ou autres événements comme des tournois de combat de pouce ou des projections de docu-fiction. En Estonie, la culture a une place vraiment importante, des théâtres à tous les coins de rue, des festivals à toutes les fins de semaines, des noms de rues farfelus, des gens créatifs, un pays que j'aime. Il y a aussi un esprit fort de recup': aucun magasin de vêtements neufs, que des dépôts-ventes, et tous les 100 mètres!
Durant cette première semaine, les filles m'ont fait découvrir leur pays, leur famille et leurs amis. J'ai appris de mon côté un peu d'Estonien, un peu d'histoire, sur l'union soviétique et le communisme. On a passé la majeure partie de notre temps à cueillir des champignons, des myrtilles, fraises, framboises et autres "berries", pour ma part juste les manger puisque mon sceau est resté vide.
J'ai presque cru à l'hallucination lorsque j'ai aperçu ma première cigogne. Puis, c'est avec le regard d'une enfant que j'admirais les dizaines d'autres, perchées sur leur haut nid, soigneusement aménagés en haut des poteaux électriques. Je cherchais presque des yeux le linge contenant le bébé.

Après l'Estonie, ce fut la Lettonie, pour ce fameux Positivus festival, que j'attendais tant. Il a fait froid, un peu, mais rien comparé au mauvais temps prévu: on a eu de la chance. Le site était splendide: dans la forêt et au bord de la plage, des ateliers tous plus surprenants les uns que les autres, un chapiteau "films", un chapiteau "cirque", 5 scènes différentes, plusieurs dizaines de hamacs, des grosses mascottes Free Hugs, des ateliers créatifs un peu partout, des défis, des photos, des gens surprenants. Et surtout, de la musique exceptionnelle.
Sigur Ros et The XX m'ont faite planer, la scène locale m'a faite rêver, Imagine Dragons et C2C m'ont enflammée et la scène électro m'a pulvérisée, bref un festival haut en couleur, en émotions fortes. Des rencontres, de la festivité dans le sang, des nuits courtes, des longs apéros, des sourires, des fous rires, des têtes dans le cul, un festival quoi. Mais, avec en prime, la rencontre du président de l'Estonie. La classe, non?

La semaine qui a suivie a été une remise en forme caractérisée par le fait bizarre que je suis justement tombée malade.
Au programme: une journée glande totale, suivie par une journée de visite d'exposition et de magasins de seconde-main, retour à Elva où je me suis faire chouchoutée et soignée par la mère d'Annika, puis départ pour Valga à la frontière de la Lettonie, voir le père d'Annika, et commencer le stop. Bien sur j'avais pris soin de préparer mon retour: personne ne devait être au courant. La veille de mon départ j'ai envoyé un mail à la famille, leur expliquant que j'allais sûrement prendre racine une semaine de plus en Estonie, et que bien sur je les tiendrai au courant lorsque je commencerai l'autostop. Bon, faire la surprise a ça de bien que personne ne de fait de sang d'encre: ni eux en s'imaginant que je suis en danger, ni moins en les imaginant m'imaginant être en danger. Pas de pression d'heure, de nouvelles, de temps, de lieu. Juste un sac à dos, un carton, un pouce et mon sourire jusqu'aux oreilles.

Le retour en stop !

Bilan :
- Kilométrage: 3000km (en fait 3600km si on compte depuis Saint Petersburg)
- Départ : de Valga en Estonie
- Arrivée : à Guérande en France
-Durée: 4 jours
- Voitures : 23
- Conducteurs : 3 femmes, 3 couples et 17 hommes

Le Stop c'est génial. Mais pas toujours facile. Pouce tendu, sourire aux lèvres, je ne peux m'empêcher d'être sensible aux différentes expressions des conducteurs. Finalement peu d'indifférence, beaucoup affichent de l'agacement, des regards accusateurs, secouant leur tête, fronçant les sourcils. Ma présence, là au bord de la route à leur demander quelque chose, ça les agresserait tant? Une femme a été jusqu'à me faire un doigt d'honneur! Pourquoi tant de haine ?
En y réfléchissant, ça a finalement un coté thérapeutique. Tenir le pouce
en l'air, tout sourire et être confrontée à tous ces regards chargés de jugements, d'indifférence ou de mépris, et les laisser glisser sur soi sans les laisser pénétrer sa carapace, c'est un sacré exercice. (Et on connait ma susceptibilité). Demander. Demander c'est un exercice, qui n'est pas des plus faciles. Demander c'est se heurter à l'éventuel refus, pas si éventuel dans le cas du stop. Et accepter de recevoir des autres, sans donner, sans se sentir maladivement redevable. Lorsqu'on demande à plusieurs, on est armé, protégé par le groupe. Mais seule, pour une si longue distance, et pour moi surtout, c'était comme mon examen de fin de parcours. Non pas que je me suis sentie en insécurité, ou angoissée de la distance, de l'échec. Non j'étais juste angoissée face à la nudité du stop, de s'afficher avec une pancarte devant des dizaines, des centaines de paires d'yeux qui défilent, protégées par leur carcasse de voiture, et leur vitesse, donc libre de réagir comme il leur plait.

Le premier jour de mon retour officiel, le vendredi 26 Juillet, je me suis levée assez tôt pour avancer un maximum. J'avais décidé de rentrer directement sans passer par les grandes villes prévues à la base. C'est un peu trop compliqué de rentrer et sortir des grosses agglomérations pour faire du stop, ça demande beaucoup d'énergie, et de toute manière je n'étais plus vraiment dans une optique de visite de ville. Alors j'ai tendu le pouce, estimant mon retour à 3 ou 4 jours, me permettant de faire la surprise à mes grands-parents dans la vallée de Chevreuse, estimée à dimanche, et de repartir lundi faire la surprise aux parents à Guérande.

Me voilà partie. Le premier conducteur, un homme parlant un anglais parfait, ne m'emmènera que sur 40 km mais il me fera visiter sa ville en voiture, me racontant l'histoire de son pays, les habitudes des locaux et tout ce que je rêvais d'entendre et d'apprendre sur la Lettonie. La première journée a globalement été une réussite. Je n'ai jamais attendu plus de 10 minutes au bord de la route, et, une fois en Lithuanie, vers 13 h, je me fais prendre en stop par une famille: ils partent jusqu'au sud-ouest de la Pologne, à 900km dans ma direction. Quel cul! Mon passage en Pologne a été mon dernier pied en Europe. Je repassais à l'heure française, ré-apercevais les marques Ikea, Lidle, Carrefour, et compagnie, bien que les cigognes continuaient de peupler les poteaux électriques. Dans la voiture à ma droite, ma petite Beata de 12 ans passait son temps à me faire des tresses et m'offrir du fanta.

On arrivera vers 1h du matin, les parents de la jeune Beata me déposeront dans un Motel. Ça fait mal aux fesses de payer 25€ la nuit lorsque tu avais l'habitude de la payer 3€. C'est comme ça!

Le samedi 27 Juillet, je me réveille donc en Pologne, j'engloutie mon petit déjeuner et tends de nouveau le pouce, il est 8h. Un camionneur s'arrête, il gêne la circulation alors je me jete dans son camion avant de me rendre compte qu'il ne parle pas un mot d'anglais. Impossible de savoir où il va. Il s'arrête 10 km plus loin sur une mi-aire de repos/mi-bande d'arrêt d'urgence le long de la nationale, et me dessine une maison pour me faire comprendre qu'il prendra la prochaine sortie pour rentrer chez lui. J'ai espéré ne pas créer de malentendu lorsque j'ai essayé de lui demander de me déposer plutôt au niveau de la sortie qu'il prendra, en chemin vers sa maison. Suite à quoi il a tenté le tout pour le tout et m'a demandé si je voulais venir chez lui. Niet! Il me dépose donc à la sortie, après m'avoir proposé sa bière pour la seconde fois, et repart. Bien que le mec qui me prendra ensuite m'avancera pas mal, il me déposera à un endroit critique, j'attendrai un moment. Je pose mes affaires tranquillement, profite du soleil, mets mes lunettes, colle un sourire sur mes lèvres et tends ma pancarte. Je me répète que le stop c'est toujours après avoir galeré qu'on a un vrai coup de peau, pour faire passer le temps et continuer de me faire espérer. Et encore une fois ça s'est vérifié : le mec qui s'est arrêté allait à Franckfurt, à 700km vers l'Ouest de l'Allemagne! Vers 14h j'arrive en fait à Wurtzbourg, une ville à une centaine de kilomètre à l'Est de Franckfurt, mon conducteur me dépose sur une petite station essence. Là, j'ose. Je déplie mon carton : France. Un homme prétends que je suis sur une route auxiliaire, que je ne trouverai personne, il me dit qu'il serait mieux qu'il me dépose à Nuremberg, à environ 100km un peu plus au Sud-Est, mais sur l'axe de l'A6 qui va en France. Je le remercie et monte. Une fois au niveau de Nuremberg je retends le pouce, et attendrai un très long moment. Un couple fini par s'arrêter, il est 17h, ils veulent m'avancer de 100km vers la France, c'est parfait. Je constate avec horreur après 5 minutes qu'ils reprennent la route dont je venais exactement, vers Wurtzbourg. Mais ce n'est pas grave, ça me donne l'occasion de les rencontrer, de discuter, c'est ça voyager! La femme qui me prendra ensuite m'avancera un peu vers Franckfurt, m'offrira un coca quelle avait acheté en avance pour moi. Adorable.

Ce n'est que le lendemain que je réussirai enfin à dépasser Franckfurt par l'Ouest, même si ça me coûtera de nombreux sauts de puce, de longs moments de solitude, d'attente, et de bain de soleil. Une fois à la frontière, enfin, après 4 voitures et 5 heures de stop, je tends le pouce de niveau, mais avec mon panneau Paris cette fois-ci. Tout à coup, un rideau de plus s'abat sur moi, et c'est pendant une heure que j'essaierai de jouer du regard pour qu'on me prenne en pitié. Mes sacs sont trempés malgré leur protection, et moi je ressemble à un cocker tombé dans l'étang. Rien à faire, personne ne s'arrête (et quelque part je les comprends). Je repense à mon dicton: c'est toujours après une longue galère qu'arrive la plus grosse chance. A-t-elle été assez longue ma galère ? Une voiture s'arrête finalement, un homme me dit qu'il va à Paris, et, mieux, il me propose après une heure de route ensemble, de me déposer devant la porte de chez moi, à Saint Lambert (78), alors que lui va à Saint Denis. Si ça c'est pas de la chance... Dans la voiture je passe la frontière française, je réhabitue mes yeux à l'écriture française, je réhabitue mes sens au parfum du pays, aux couleurs de cette nation, aux sons de la langue. Finalement, ce n'est qu'un autre pays, une nouvelle étape, un nouveau voyage. Finalement ce n'est qu'un nouveau mode de vie avec ses us et coutumes, avec ses préjugés à démentir ou vérifier, ses richesses cachées à découvrir, des "locaux". Finalement pas de grand changement. Et pourtant, cette sensation qui me bouleverse, qui me fait sourire alors que rien n'est drôle, qui me fait rire lorsque la caissière me demande si c'est "sur place ou à emporter". Tout le monde parle français. Voilà la seule grosse différence.

Vers 16h j'arrive à Saint Lambert, devant la maison de mes grands-parents prête à sonner pour les surprendre. J'ai réussi mon coup, la surprise est totale, les larmes, la joie, les embrassades. Je marche même sur une abeille qui me pique sans que je m'en aperçoive lorsque je courrais pieds nus dans l'herbe pour rejoindre mon grand père au fond du jardin. Tarte au pommes, chouchoutage, souvenirs, histoires, anecdotes, photos, on en a du temps à rattraper. Mais à peine arrivée, je repars déjà direction la Bretagne, au petit matin. Il est temps de surprendre les parents cette fois. J'y arriverai vers 16h, après 6h de stop et 2h à tourner en rond pour trouver la maison. Qu'elle andouille, j'avais oublié où elle se trouvait... faut le mériter ce retour ! Surtout qu'à 500 mètres de la maison un rideau de pluie s'est de nouveau abattu sur moi. Une fois dans la résidence, la pluie s'arrête. J'aperçois la maison. J'entre dans le jardin. La voiture est là. Un gros chien vient me sentir, c'est Icar, un "bas rouge" de 5 mois à l'allure d'un poney, celui qu'on appelle Cooky sans faire exprès. J'espère qu'il ne va pas aboyer, je veux que la surprise soit totale. J'avance sur la pointe des pieds jusqu'à la porte d'entrée, comme si l'herbe allait crier si je lui marchais trop fort dessus. Je sonne. Et je toque histoire d'en rajouter une couche. La porte s'ouvre. "Coucou maman!"

 

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