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* En vol *
11 octobre 2012

Semaine 5 : Happy Farm et bouse de vache

C'était survoltée que je me tenais à l'arrière de la vielle Honda rouge de M. Lee, qui m'emmenait loin de la folie urbaine de KL, ce vendredi 28 Septembre. C'était excitée comme une puce que j'imaginais l'endroit qui redonnerait un sens à mon voyage, un rythme à mes journées et une claque à mon fessier. Je me voyais déjà, bottes en caoutchouc, brin d'herbe entre les dents, chapeau de paille et laceau à la main. Bon, clairement je rêvais. Au bout de 50 km, nous arrivons à Batu Arang et ses quelques maisons de briques rouges rappelant le passé colonial britannique. La vieille Honda s'engage dans un petit chemin de terre, slalome entre les trous et les sacs poubelles qui jonchent le sol, se fraie un chemin entre les ordures, les flaques et les oies, avant de s'immobiliser. C'est le souffle court que je mets pied à terre. De la taule et de la saleté, un canapé, une cuisine à la faune intéressante et une salle d'eau aux murs noirs de pourriture. Je suis forcée d'admettre que je vais devoir troquer mon brin d'herbe et mon laceau contre un balais et une serpillière. Et mon imagination débordante contre un peu de réalisme. Après la visite des lieux, je pose mon sac à terre, dans ma chambre individuelle. Je me revois rêver de mon chapeau de paille et je me surprends à rire. D'un rire à la fois auto dérisoire, à la fois entaché d'un peu de jaune. Mais la première claque passée, tout ça ne m'a pas dérangé. Tandis que M. Lee repart pour KL, où il habite, je fais connaissance avec Nobel et Coco, mon "superviseur" (Malheureusement il partira le lendemain à midi, en me disant simplement qu'il a trouvé du travail). J'allais rester avec Nobel, 20 ans, réfugié du Myanmar, venant de l'ethnie Karen. En fait Nobel a 22 ans, mais il semblerait que le temps se soit figé pour lui le jour où il s'est enfuit de son pays, l'arrachant à ses parents qui ont du courir dans une autre direction à l'approche des militaires. Il n'a que sa grand mère, au fond du jardin. Enfin, je veux dire par là, que derrière la ferme il y a une maison dans laquelle vivent des réfugiés Karen, sa "famille". Nobel est gentil, il prend soin de moi, m'interdit même d'aller marcher seule en ville (ce qui a le don de m'exaspérer).J'ai pu sentir que nous ne vivions pas dans le même univers. De par nos différences culturelles et religieuses d'une part, et puis parce que j'appris également au sujet de son hospitalisation en psychiatrie, il y a quelques temps. Mais bref, il n'a rien de dangereux, rien d'agressif, c'est un peu comme un grand enfant! Nobel a été surprenant tous les jours. Le premier jour de travail n'a pas été simple. Même si j'ai bien ris de nos petites différences, toujours plus surprise à chaque découverte. Que j'ai ris quand après avoir cherché mes tongues partout j'en retrouvai une au pied droit de Nobel et une au pied gauche de Coco. Ou ce moment où Nobel, le premier jour, m'interdit de ramasser la bouse de vache sous prétexte qu'on ne mélange pas la beauté au sale. Résultat: merci du compliment mais je reste bras croisés, une pause de plus. Je ne manquerai pas de lui faire savoir le lendemain que le crottin, moi ça me connait, j'en suis ramasseuse professionnelle, et il a pas le choix, je ramasse ! En parlant de ce fameux premier jour : on a du attraper les poulets transgéniques (à 1 mois, ils sont 5 fois plus gros que la plus grosse poule de Poigny). Les courser, leur attacher les pattes, les lancer, les récupérer, les entasser dans le panier de la moto, direction la "machine". Quand Coco en portait 4 dans chaque main par les pattes, têtes s'entrechoquant, moi, ridicule, j'en portais un sous chaque bras, ayant peur de leur faire mal. Moins drôle, ça m'a fait bizarre tout à coup, j'ai eu des flash back. Cocotte et moi qui jouons à Poigny, ou Miamiam mon poussin que je prend dans ma veste contre moi. J'ouvre les yeux: Coco appuie fort sur un poulet pour en mettre un dernier par dessus le tout. J'ai mal. Ensuite on est allé planter des bébés plantes et trifouiller dans la bouse de vache, ça, c'est plus mon truc ! La pause de 12 à 17 h a été comme une torture, des images, des réflexions envahissantes, doutes permanents, pensée fluctuante, avenir trouble. En tout je suis restée dix jours à la ferme, à nourrir les canards, oies et poulets, à ramasser les bouses de vaches, couper les fruits et légumes murs, planter, arroser, compter les oeufs, manger les oeufs, etc... mais la vie à la ferme c'était aussi: - Pester contre cette lunette des toilettes internationalement baissée - Manger des plats de tous les horizons, mais jamais sans huile. - Écouter la douce mélodie nocturne des canards qui font leur bec sur du polystyrène, sous ma fenêtre, ou bien, l'entrainante fanfare des rats qui font des combats de lutte sur le toit - Apprendre la moto à 4 vitesse starter (ENFIN!!!!!), et bien que j'en mesure le danger, je me suis offert une autonomie indispensable à Batu - Enrichir ma palette de sensations olfactives. J'ai pu découvrir des odeurs dont je ne soupçonnais pas l'existence: pain pourri, soja bean, estomac de poule ou de poisson, le tout mixé, etc... Un arc en ciel de sensations nouvelles. - Se faire de ces amis qu'on n'aime pas au début, puis qu'on tolère, jusqu'à ce qu'on leur donne un nom et que leur absence créé un vide (Germaine la grenouille des toilettes), - Se faire des ennemis, comme cette souris qui est entrée dans ma chambre, ou celle qui a bouffé mon chargeur de portable - Se couper avec les couteaux de cuisine qui ressemble à des haches Mais ne soyez pas trop effrayés par cette énumération sommaire, j'ai gardé en mémoire les meilleurs moments, comme cette soirée où nous avons été dans la "famille" de Nobel. BBQ au programme, et alcool de Coco (que cela peut il bien être... mmh... ne serait ce pas cette odeur de viande pourrie que je sens de nouveau remonter à mon nez!??). Padanwan ou alcool de coco, ce truc immonde a même traversé les mers! Je suis arrivée dans cette maison, vide de meubles, mais remplie à craquer de joie et de chaleur. À mon arrivée, on m'appelle "sister", on me dis que je suis ici chez moi. La recette d'un barbecue réussi : poulet tué dans la matinée, poissons et crevettes pêchés dans le grand lac qui longe la ferme, serpent trouvé à l'hôpital dans l'heure et jeté dans le feu, une pincée de bière, une poignée de joie et un flot d'amour de Dieu. Ces gens m'ont impressionnée, à tout âge, ils dansaient, marchaient à 4 pattes ou chantaient, chiquaient, hurlaient, comme bon leur plaisait. Beaucoup m'ont expliqué qu'ils ne pouvaient penser à demain, sinon ils étaient tristes. Ils ne pouvaient penser qu'à aujourd'hui, et être heureux, comme ils font depuis toujours, et même après ces trois ans de fuite. Ils n'ont plus rien, ni bien, ni argent, et ils s'en fichent car l'argent ils ne le ramèneront pas à l'heure du grand jugement. Je m'en veux de ne pas parler mieux anglais. S'ils savaient tout ce que j'avais voulu leur dire, combien je les admire, ... Quelle belle claque je me suis prise là. Et Auntie Dolly de rajouter, que c'est dans la souffrance qu'on apprend a se connaitre. Ca résonne dans ma tête. Elle dit également qu'elle veut que ces histoires soient connues, elle veut que les gens sachent ce qui se passe au Myanmar. Elle a appris l'anglais étant jeune, de manière très assidue, car elle a compris très tôt qu'il lui deviendrait indispensable. Durant cette soirée, je me suis sentie portée par beaucoup d'émotions aux couleurs différentes. Bonheur, joie, surprise, tristesse ... Honte. J'ai écouté toutes ces histoires, leur promettant de revenir le lendemain, pour entendre la suite. Chose qui ne s'est pas passé, car Nobel s'est disputé avec eux, bref. J'ai aussi gardé en mémoire ce moment ridicule où je me suis retrouvée cachée derrière les arbres de papaye, hache à la main, peur au ventre, attendant le retour de Nobel qui est allé au fond du jardin avec un étrange indien bourré qui avait pas l'air commode, et qui a débarqué dans la ferme sur les coups de 19h. Après le retour de Nobel, (un peu fracassant car il hurlait RUN Manon, RRRUUUuUUNN !!!), j'ai lâché mon arme et ai pris mes jambes à mon cou. Au final Nobel en a rajouté des tonnes, ce pauvre Indien ne lui voulait pas de mal, et de toute manière il n'était plus la. On a passé la soirée dans le parc, appeler la police, les amis, le boss... En fait, Nobel m'expliquera plus tard que l'Indien voulait dormir à la ferme. J'ai appris une semaine après que la ferme était une ancienne clinique pour toxicomanes, il ne savait pas que ça s'était transformé. Il voulait juste un peu d'aide. Nobel est parfois un peu parano, lorsque deux jours plus tôt deux Indiens lui ont posé des questions étranges sur moi, pris de panique, il s'est décidé à fermer à clé le portail avec une grosse chaîne et un cadenas, et a confectionné un panneau très dissuasif à l'entrée. Ah, sacré Nobel. J'ai gardé en mémoire ces moments de liberté à conduire la moto, Nobel derrière faisant des bruitage à la Cid dans l'Age de Glace, ou me hurlant dans les oreilles des phrases incompréhensibles et aiguës, voulant imiter sa tante effrayée. La moto c'était top surtout lorsque je me pavanais avec fierté dans Batu, 15kg de papaye sur les genoux, et 5 kg de Long bean sur les genoux de Nobel à l'arrière. "Aha! Moi aussi j'y arrive ^^ as a local ! Et TOC". Le plus drôle c'était quand même l'heure du seau. Lorsqu'on porte, tous les midis, sur ses genoux ce fameux seau sans nom, à l'odeur indescriptiblement monstrueuse, rempli d'estomac de poule/poulet, on a intérêt à pas rouler trop vite, étant donné que le conducteur a clairement la tête dedans. Alors voilà, quand il s'agit de rouler sur le chemin de terre qui mène à la ferme, avec des trous énormes, des pierres et de la caillasse. Je vous laisse imaginer ce que la moindre secousse peut donner... C'est quand même dingue, cette différence culturelle. Chaque jour je m'étonnais un peu plus, chaque jour j'essayais de faire des efforts pour suivre un rythme beaucoup plus sain et lent que le mien. Il s'est avéré être très fatiguant de ralentir sa cadence personnelle, le moindre effort devenait paradoxalement lourd, demandait beaucoup d'énergie. Un jour je me suis retrouvée seule à la ferme, que ça m'a fait du bien d'aller un peu a mon rythme, avec ma liste, mon programme, mes horaires. Une vrai occidentale inadaptable ! Non en réalité, j'ai commencé à faire mûrir une patience, qui reste encore un peu difficile à dompter, mais c'est en cours ! Nobel, au bout d'une semaine et demi, une chanson écrite, puis déchirée, a finalement pleuré à mon départ, le mercredi 10 Octobre. Je suis pourtant qu'à un kilomètre de la ferme (et dans une maison au confort inespéré). Je suis contente d'avoir pu passer le relai à un autre woofer arrivé la veille de mon départ de République Tchèque, Nobel ne sera pas seul. Oui, ils vont me manquer, ces bonhommes aux dents rouges et au grand cœur. Coco, voyant mon sac à dos, a tenu, comme d'habitude, à m'amener en moto à mon point de rendez vous, à 100 mètres devant la ferme.

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Commentaires
M
Merci pour tous vos commentaires qui me touchent !<br /> <br /> Yayou tu me fais trop rire comme DAB mais jsuis super contente pour Sarah :) tu l'embrasses de ma part! Pleins pleins de bisous!!!!
Y
Coucou Manounette ! Ben zut, j'ai vraiment l'impression que tu prends goût à l'aventure ! moi qui espérais que tu nous reviendrais vite vite !! en fait, je sais comment tu fonctionnes, tu recules pour mieux sauter ! en plus tu prends tout le monde à témoins, ça fait que tu nous chahutes aussi un peu ! nous qui sommes bourgeoisement installés dans notre petite vie parisienne ! je t'envie pour toutes ces découvertes, mais alors le coup de toutes ce bestioles,ça me donne des boutons !je serais morte de trouille, moi qui ai déjà du mal à assumer les malheureux cadââvres que nous ramène notre chatte!<br /> <br /> Je t'écris dans la foulée , pour te donner d'autres nouvelles ! entre autre, Sarah attend un petit mec ! yes yes ! forcément ,c'est le plus grand à 4 mois ( 25cm), déjà bon nageur (très grands pieds), le plus chounou ( nez retroussé), et magnifique modèle pour les portraits ( je n'ai que l'échographie de sa tête !)..faut que je tricote un truc de naissance, c'est la loose complète.<br /> <br /> Gros gros bisous, et prends soin de toi surtout.A bientôt<br /> <br /> yael
T
Coucou mon p'tit canard! <br /> <br /> <br /> <br /> C'est vraiment fou ce que tu vis mais en même temps ce n'est qu'une réalité d'ailleurs. Je ne peux m'empêcher de penser à tout ce que cette expérience t'apporte: énormément j'en suis sûr! Pour ça j'en suis un peu jalouse, j'ai l'impression de passer à côté des choses essentielles de la vie... Bravo encore de t'être donné les moyens et de continuer à trouver le courage, la motivation, la volonté et continuer cette aventure. Continue de nous faire partager tout comme tu le fait, tu fis passer tellement d’émotions dans tes mots et te phrase: je suis littéralement passée du rire au larme!!! Demain de profite d'être à Poigny pour utiliser de téléphone de Maman et t'appeler. <br /> <br /> <br /> <br /> Tu me manques! Je pense fort à toi, je parles tout le temps de toi autour de moi car je suis vraiment fort de toi!!!
M
Comme pour les bons polars j'attends avec impatience le prochain !!!
D
toujours aussi plaisant de te lire ! que d'aventures et de découvertes. Continue, tu gagnes à profiter ainsi de ce qui se présente à toi.
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  • " Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait. " N. Bouvier
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